En démocratie, les mouvements sociaux ne visent pas à renverser le régime politique.
En démocratie libérale, les mouvements sociaux ne visent pas à renverser l’Etat pour transformer son régime politique. De nature essentiellement revendicatrice, ils sont économiquement et socialement motivés. Les acteurs sociaux et les acteurs économiques manifestent en démocratie pour revendiquer des droits et pour défendre des intérêts légitimes. Les manifestations poussent l’Etat à répondre aux demandes des acteurs de la société civile afin de satisfaire l’impératif démocratique d’inclusion et d’intégration de la diversité. Dans les cas extrêmes, lorsque la démocratie est menacée par une mauvaise gouvernance, Impeachment et destitution constitutionnelle du chef de l’Etat, hors de la période de l’Election, visent à empêcher la privatisation de l’intérêt général par le pouvoir politique et à rétablir dans l’Etat la priorité du service du Bien public.
Ouverts par essence au compromis qui s’enracine dans le consensus sur les valeurs fondamentales de la République et de la Démocratie, les mouvements sociaux démocratiques en appellent au dialogue social. La démocratie répond donc par la négociation et par le compromis aux mouvements sociaux qui s’expriment contextuellement par la contestation sociale. Au contraire, la dictature oppose la répression à la contestation sociale et conçoit le compromis comme une intolérable faiblesse. Soucieuse de préserver la logique politique de la domination de l’Etat, du maintien de la société civile sous la tutelle du pouvoir politique, de la négation des intérêts de la diversité sociale, elle récuse le dialogue social et le compromis. Corrélativement les mouvements insurrectionnels et les anti-mouvements sociaux organisés par des factions politiques antidémocratiques en appellent au refus du compromis et au rejet du dialogue social. Ils visent à renverser l’Etat et l’ordre établi.
Ces vérités de la sociologie politique sont désormais devenues des lieux communs. Cette différence entre la lutte démocratique pour la défense des intérêts sociaux et la contestation révolutionnaire ou antidémocratique d’un régime politique est évidente. Elle mérite cependant d’être rappelée dans une Afrique subsaharienne où l’âpreté de la lutte pour le pouvoir d’Etat conduit les protagonistes du combat politique à mélanger les registres dans une logique purement stratégique et opportuniste. Elle mérite de l’être d’autant plus que le temps est à la révolte sociale contre les despotismes en vue de la démocratie. Ce contexte historique peut, dans les jeunes démocraties, amener certains acteurs politiques à mettre en danger les acquis de la démocratie dans des situations qui invitent plutôt à leur consolidation.
Sortant de l’époque des autocraties qui reprouvaient la contestation sociale, et de celle des avant-gardes des mouvements de libération nationale qui lui assignaient un objectif de renversement révolutionnaire du pouvoir établi, nous devons désormais intégrer la contestation sociale et l’opposition au pouvoir comme épreuves de confirmation du caractère démocratique de l’Etat. Nous devons désormais changer de logiciel pour concevoir la contestation sociale, la contradiction, la manifestation de la différence, la critique du pouvoir, la liberté de pensée et de presse comme caractères fondamentaux de la liberté politique. Elles définissent le régime démocratique.
La contestation sociale, la contradiction entre les intérêts toujours divergents des acteurs de la société civile, les tensions entre les nécessités de l’investissement et les exigences de la redistribution sont inhérentes à la démocratie. La fonction politique de la démocratie, qui ne se trouve pas dans la société civile et l’Etat mais dans le système politique, est de résoudre institutionnellement les contradictions et les asynchronies entre les divers éléments qui composent l’ensemble socio-économique et politique de la cité.
La réponse politique à l’agitation du front social consiste à mobiliser le système politique, à savoir le Parlement et les Institutions du compromis, pour résoudre le conflit social par la négociation sociale. Cette intervention médiatrice crée une interdépendance et une solidarité nationale entre les acteurs économiques, les acteurs sociaux et les acteurs politiques. Le compromis démocratique obtenu par le dialogue social articule les intérêts à court terme des divers acteurs de la société civile avec les intérêts à long terme de la société globale. C’est, en tant que telle, que la démocratie est censée être, à la différence du despotisme et de la dictature, le régime qui permet de transformer l’économie de marché en développement et notamment en développement endogène, autre nom de l’émergence économique et sociale. Comment la gestion politique des tensions sociales, en démocratie, produit-elle concrètement l’émergence? (A suivre)
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