Laurent Gbagbo fut-il un démocrate ? 1ère partie

Au terme de l’audience du 28 Février 2013, à la Haye, devant les juges de la Cour Pénale Internationale Laurent Gbagbo avait répété sa profession de foi de démocrate pour contester son inculpation : "Toute ma vie, j’ai lutté pour la démocratie." avait-il déclaré.

Faut-il croire Laurent Gbagbo? Laurent Gbagbo est-il le père de la démocratie ivoirienne comme il le soutient ? Est-il l’un des premiers démocrates africains dont l’incarcération à la CPI constitue à ce titre un scandale absolu comme se plaisent à le soutenir ses supporteurs qui en font même une icône du panafricanisme et de l’anticolonialisme.

Le chef d’accusation sous lequel Gbagbo est inculpé ne bat-il pas en brèche sa prétention à incarner le combat pour la démocratie en Afrique et ne permet-il pas d’en douter ? Gbagbo est-il par conséquent le démocrate sincère et l’acteur politique incontournable dont la jeune démocratie ivoirienne a besoin pour se constituer et se consolider comme semble le suggérer son parti le FPI qui fait de sa libération la condition absolue de sa participation au jeu démocratique ivoirien ? Peut-on créditer « le socialiste » Gbagbo d’avoir voulu mener une politique de d’égalité démocratique que la rébellion de 2002 aurait empêchée ? A-t-il promu  en Côte d’Ivoire et en Afrique une démocratie sociale centrée sur la promotion des intérêts des catégories populaires qu’un complot du « néocolonialisme » français et international aurait tuée dans l’œuf ?

Pour que la réponse à ces questions fût affirmative, il aurait fallu qu’il défende le principe de la citoyenneté démocratique et républicaine contre le nationalisme ethnique. Il aurait fallu qu’il représente le peuple souverain en sa diversité et qu’il incarne en tant que chef de l’Etat l’intérêt général et l’unité d’une nation citoyenne. Il aurait fallu qu’il accepte le principe de l’alternance du pouvoir et qu’il récuse dès sa prise du pouvoir en 2000, la politique ségrégationniste, clivante et désintégrante de l’ivoirité pour mener une politique d’intégration de la diversité sociale et culturelle fondée sur la représentativité des intérêts sociaux, la citoyenneté et la limitation du Pouvoir ! En effet comme l’écrit Alain Touraine « une politique de classe n’est démocratisante que si elle est associée à la reconnaissance des droits fondamentaux limitant le pouvoir d’Etat et à la défense de la citoyenneté, c’est-à-dire du droit d’appartenance à une collectivité politique qui s’est donné le pouvoir de faire des lois et de les changer ».

Or, le premier acte politique de la mandature de Gbagbo fut de substituer le principe ethnique de la nationalité au principe de la citoyenneté républicaine, d’exclure une large frange de la population du droit d’appartenance à la collectivité politique ivoirienne, de profiter de la rébellion qu’avait suscitée cette exclusion pour violer les droits fondamentaux et installer un Pouvoir sans limitation et sans contrôle. Faisant alors fi de la représentation des intérêts populaires, la politique du Front populaire ivoirien sous la direction de Gbagbo fut d’instrumentaliser le peuple défini en terme ethnique et tribal pour le mettre au service d’un régime despotique qui se transforma en régime proprement totalitaire. Dès 2002 le régime Gbagbo fit proliférer et entretint  des milices ethniques et des escadrons de la mort.  Fer de lance d’un régime de terreur,  ces milices et ces escadrons  livrèrent la chasse aux ennemis intérieurs et extérieurs et  mirent  la société ivoirienne sous coupe réglée. Le gouvernement du peuple par le peuple que Laurent Gbagbo mit en œuvre fut un gouvernement de la négation des droits du peuple par un Etat qui avait transformé la société civile naissante en communautés ethniques divisées ou coalisées les unes contre les autres et en ressource politique au service d’un Pouvoir sans borne.

Si la démocratie demeure structurée par ces trois principes: liberté, égalité, fraternité, Laurent Gbagbo qui a gouverné la Côte d’Ivoire de 2000 à 2010 sous le régime de la terreur, de la discrimination, de l’hostilité et de la haine de l’Autre n’est donc pas démocrate.  Si la gouvernance démocratique se définie par l’interdépendance de ces trois principes : la limitation du pouvoir, la représentativité et la citoyenneté, force est de reconnaître que Laurent Gbagbo, qui fonda son pouvoir sur l’arbitraire absolu du pouvoir et  négation de ces trois principes, ne fut pas démocrate. (A suivre)

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