Ce que révèle la présidentielle Béninoise.

« Il faut féliciter le peuple béninois pour son rôle essentiel dans la démocratie », avait déclaré Mr Dioncounda Traoré chef de la mission d’observation de l’Union Africaine, au terme du 1er tour de la Présidentielle Béninoise. Il avait déploré cependant « l’irruption de l’argent sur la scène politique ». « C’est une tendance dans la sous-région. Cela dénote une certaine faillite des partis politiques », avait-t-il estimé. La réduction du jeu démocratique africain au respect formel des procédures favorise le monopole politique des candidats les plus fortunés. L’irruption de l’argent sur la scène politique africaine donne la triste impression que le jeu démocratique africain est réservé à des oligarchies.

Loin d’être anecdotique, cette faillite des partis politiques africains est le signe d’un mouvement de réajustement structurel du système de domination endogène qui sévit à l’échelle de la sous-région depuis la décolonisation: la mainmise de l’Etat sur la société, la domination politique et économique des oligarchies locales, l’instrumentalisation politique de la société et des identités culturelles par les maîtres du pouvoir politique. Cette faillite des partis politiques africains et cette irruption mimétique de l’argent sur la scène politique inaugurent un dévoiement de la démocratie africaine naissante et une récupération politique de l’économie définie comme cheville ouvrière de l’intégration socio-politique.

En Afrique Noire, la monopolisation de la politique par les milliardaires-politiciens africains qui jouent aux Donald Trump, tue la démocratie et vide l’économie libérale de sa substance. Dans la continuité de la tradition des autocraties, l’économie est, une fois de plus, subrepticement récupérée et contrôlée par des logiques politiques de domination qui la pervertissent. En bref les grandes fortunes, les milliardaires africains qui ont bien souvent accumulé leur richesse mobilières et immobilières grâce à leur accointance avec les autocrates ou leur participation aux dictatures postcoloniales, s’accaparent à nouveau la politique derrière le dos des peuples pour la mettre au service de leurs affaires personnelles, s’octroyant ainsi par la démocratie un pouvoir politique qui légitime leur domination.

Une démocratie de milliardaires en dollars et en euros dans une Afrique rongée par la pauvreté de masse ! Quel scandaleux paradoxe ! L’exemplaire abnégation démocratique du peuple béninois, composé d’une grande majorité de pauvres, jure en effet avec la concurrence politique de la minorité de milliardaires qui sollicitent son suffrage pour diriger l’État béninois. Serait-ce en vue d’assurer la prospérité de leurs affaires personnelles? Espérons que cette  majorité de pauvres, désireux de changer concrètement leurs conditions de vie grâce à la démocratie, pourra contraindre cette minorité de politiciens milliardaires à mettre en œuvre une politique d’investissement et de redistribution des richesses pour une prospérité partagée.

Dans les grandes démocraties du monde, telles les États Unis, la France, la Grande- Bretagne  et les social-démocraties des pays scandinaves par exemple, le pouvoir  des grandes fortunes et des milliardaires est encadré par un système qui garantit institutionnellement la redistribution de la richesse nationale. Intrinsèquement impliquées par la concurrence et la compétition libérales, l’inégalité et la domination sont néanmoins combattues par les instruments institutionnels de la démocratie libérale. L’Égalité, la Liberté et la Fraternité, valeurs juridiques et morales tutélaires de la société démocratique, commandent impérativement la redistribution des produits de la croissance économique.

Il faut déplorer la faiblesse des instruments institutionnels de la démocratie en Afrique Noire. Il faut dénoncer le scandale oligarchique dans l’Afrique Noire démocratique de nos jours  où les milliardaires politiciens africains d’Afrique du Sud, du Nigeria, d’Angola, du Congo-Brazza, du Gabon, de la Guinée équatoriale et maintenant du Bénin, pour ne citer qu’eux, préfèrent régner sur une majorité de pauvres parqués dans des bidonvilles en des pays dépourvus du minimum d’infrastructures . La démocratie africaine doit permettre de briser cette aberration! 

En espérant qu’il en soit ainsi pour toute l’Afrique Noire, on ne peut que déplorer notre tendance en Afrique à récupérer prestement les défauts et les aspects sombres des différents régimes politiques et économiques qui naissent en Occident et en Orient. Hier, après la décolonisation, le modèle de l’Etat mobilisateur centralisé, qui devait permettre d’accumuler le capital initial indispensable au décollage économique, s’était réalisé en Afrique sous la forme exclusive de la dictature des dirigeants des mouvements de libération qui monopolisèrent le pouvoir politique et économique au détriment de la société et des populations. De nos jours, le libéralisme tend à se réaliser en Afrique Noire comme affairisme avec le modèle, désormais à la mode, du politicien affairiste et milliardaire. La démocratie devient exclusivement procédurale et sert à légitimer la domination des élites et des classes possédantes.

C’est une pente inquiétante et de mauvais augure ! Ce dévoiement signifie qu’en Afrique Noire, la logique, les valeurs, le nouveau projet de société, et la nouvelle utopie qui commandent, de nos jours, le remplacement du modèle ancien de la politique par le modèle nouveau de l’économie, n’ont pas été intégrés et compris. Mais cette dérive apparemment contrôlée et organisée à l’échelle de l’Afrique Noire peut aussi signifier que cet esprit de la politique et de l’économie du monde nouveau a bel et bien été compris par les élites et les dirigeants africains, qui préfèrent néanmoins le dissimuler aux peuples pour perpétuer leur domination et sauvegarder leurs intérêts particuliers de classe. C’est le cas le plus probable. La diffusion publique de cette utopie, qui comporte un potentiel révolutionnaire certain, menace les intérêts acquis et constitue un danger pour l’ordre établi.

Il est donc impératif et vital de soumettre cette nouvelle vision du monde et cette nouvelle utopie à la controverse publique. Il faut en prendre conscience, en faire une thématique centrale du débat publique en Afrique Noire, les rendre explicites et les expliquer, pour éviter de réduire le libéralisme à l’affairisme et au mercantilisme, la démocratie à sa forme procédurale. (A suivre)

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