Quelle est la cause de la violence politique en Afrique et comment en finir ? 1ère partie

 « Sous nos latitudes l’accession au pouvoir comme la manière de la quitter sont le plus souvent régies par l’arbitraire, les rapports de force et l’argent ». Cette formule saisissante de l’éditorialiste du journal Jeune Afrique Marwan Ben Yahmed résume, dans le n° du 21 Février 2016, l’image générale de la politique africaine induite de l’expérience des élections africaines contemporaines à l’ère de la démocratie. Réduite à une compétition entre milliardaires, la dernière présidentielle béninoise illustre ce dévoiement de la jeune démocratie africaine par la violence de l’argent. En Afrique, la démocratie libérale ne parvient pas à pacifier le face à face tragique des hommes en compétition pour le pouvoir. Quelles en sont les raisons profondes ? Comment parvenir à surmonter le phénomène tragique de la violence et de l’arbitraire  dans la politique africaine ?

 La politique africaine moderne a été originellement régie par les modèles de la brutalité, de la domination de la société par l’Etat et de l’accaparement de l’Etat par une catégorie sociale et par une personne. Le modèle de l’Etat moderne en Afrique a été celui de l’Etat colonial. Les paradigmes de la guerre, de la domination et de l’asservissement ont structuré notre représentation et notre image de l’Etat moderne. L’Etat postcolonial africain s’est réapproprié la violence de l’Etat colonial, comme l’a souligné l’historien Elikia Mbokolo.

De préférence à la conception du pouvoir comme isonomie ou gouvernement du peuple par lui-même, nous avons adopté la conception du pouvoir dérivée  de la pensée conservatrice moderne héritée de Machiavel et de Marx. Le marxisme, et sa notion de dictature des avant-gardes, a été le référent idéologique du combat des mouvements de libération nationale dont procédèrent les Etats postcoloniaux africains. La loi constitutionnelle non écrite de nos Etats modernes n’est pas l’isonomie ; c’est la représentation du pouvoir comme domination de la cité par un homme fort, par un Prince bâtisseur ou par une catégorie sociale qui s’empare de l’Etat par la violence pour servir ses intérêts particuliers.

Conformément aux enseignements de la pensée  conservatrice occidentale moderne,  nous  avons choisi de concevoir que les « rapports de propriété et les rapports de force constituent l’essence de la politique » (cf Claude Lefort. L’invention démocratique) et que « la réalité se définit au niveau des rapports de propriété et des rapports de forces» (Ibid) selon les expressions de Claude Lefort dénonçant ce réductionnisme. Nous avons choisi de concevoir que « le droit est une rationalisation de ces rapports  de forces »(Ibid). Conformément à cette tradition nous avons choisi, par acculturation,  de penser que « la morale est un domaine distinct de celui de la politique, c’est-à-dire du jeu de la compétition pour le pouvoir, des nécessités de la conservation de l’ordre établi et de la raison d’Etat »(Ibid). La morale, pensons-nous, appartient au domaine du privé. Elle est confinée dans l’intériorité de la conscience.  La règle constitutive de la politique et du pouvoir d’Etat est la brutalité, la ruse, la force et la domination. Fidèles à la pensée conservatrice moderne héritée de Machiavel, les acteurs politiques africains dont certains s’enorgueillissent d’en porter le surnom,  pensent que tous les moyens leur sont  bons pour s’approprier le pouvoir et  pour défendre leur position.

Cette représentation wébérienne et machiavélienne de la politique, est complétée par un relativisme des valeurs inspiré par le matérialisme historique, qui rejette l’universalisme de la déclaration des droits de l’homme. Adepte des philosophes occidentaux du soupçon de par leur formation universitaire d’époque, disciples de Nietzsche et de Marx, une grande partie de l’intelligentsia africaine conçoit que les droits de l’homme sont relatifs à la société bourgeoise occidentale de la fin du XVIIIème siècle. Les droits de l’homme seraient « ceux du membre de la société bourgeoise, ceux de l’homme égoïste, de l’homme séparé de l’homme et de la collectivité » (ibid). Conformément aux enseignements du matérialisme historique, cette intelligentsia  a considéré que les droits de l’homme étaient la garantie de l’égoïsme de l’homme de la société bourgeoise. Combattre l'impérialisme colonialiste et le néocolonialisme, qui se sont appuyés sur cette conception, passerait par le rejet des droits de l’homme et par la destruction de l’homme générique en tant que construction artificielle par laquelle la bourgeoisie et le capitalisme colonisateur entretiennent leur domination.

Cette vulgate, réappropriée par acculturation, a constitué et continue de constituer  la culture d’une certaine élite africaine dite anticoloniste imprégnée de marxisme. Adossée à la conception wébérienne de l’Etat comme « rapport de domination de l’homme sur l’homme fondé sur le moyen de la violence légitime, c’est-à-dire sur la violence qui est considérée comme légitime »(Ibid.), cette vision du monde de l’intelligentsia africaine des années 1960 aux années 1980 a légitimé la brutalité, le cynisme, le meurtre et l’assassinat dans la politique africaine moderne. Elle a été construite sur le rejet de l’idée de l’homme comme unité du genre humain, de la sécurité et du droit des individus et des collectivités considérés comme impératifs catégoriques politiques. Elle a été bâtie sur le rejet de l’intérêt général et du bien commun qui permettent d’unifier la diversité sociale dans une nation de citoyens dont l’Etat serait le garant politique et le serviteur.

Confortées par une pratique soixantenaire, ces représentations ont institué une sorte d’exemplarité de la brutalité politique, et fabriqué en Afrique une culture qui favorise la violation des droits de l’homme et explique l‘indifférence générale devant les violations du droit commises par des hommes politiques.

Cette ancienne culture du cynisme et de la violence politiques est néanmoins contredite en Afrique par un nouveau paradigme du pouvoir et une nouvelle culture politique. Cette nouvelle vision du monde est portée par les nouvelles sociétés civiles africaines naissantes qui rejettent et récusent les paradigmes anciens de l’Etat postcolonial africain et celles des élites dites « révolutionnaires » des années 1968. Il s’agit maintenant de  mettre ces nouvelles valeurs et ces nouveaux paradigmes citoyens au centre de l’espace public africain pour en finir avec la violence politique. (A suivre)

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