Représentations mentales antidémocratiques et politiques calamiteuses en Afrique.

Les représentations mentales antidémocratiques  des acteurs politiques africains déterminent les politiques antidémocratiques qu’ils mènent dans les Etats africains. Leurs manières de concevoir le pouvoir, le gouvernement et le peuple expliquent leurs manières de gérer le pouvoir et de gouverner. Ces représentations librement formées commandent les choix délibérés qu’ils opèrent à la tête des Etats. Souligner cet aspect c’est affirmer la liberté irréductible des hommes politiques africains. C’est arracher la politique africaine des griffes mortelles du déterminisme historique. C’est l’inscrire dans le champ de la liberté qui fonde l’historicité de l’être humain en tant que créature capable de construire son devenir, d’initier dans le temps c’est-dire d’inventer par ses propres forces un nouveau commencement.

Cette vérité amène à récuser la 11ème thèse de Marx sur Feuerbach, qui fut énoncée dans L’idéologie allemande, et qui a influencé la vision du monde politique d’une grande partie de l’intelligentsia africaine. La vie et les conditions d’existence ne déterminent pas la conscience. Elles l’influencent sans la soumettre de manière absolue aux nécessités matérielles du cours de l’histoire. Le matérialisme historique conduirait à nier le libre-arbitre, la capacité humaine de choisir et d’agir indépendamment de tous les conditionnements externes et de toutes les nécessités matérielles. Il y a en effet deux types de causalités : la causalité naturelle  et la causalité par liberté. La causalité naturelle détermine entièrement les comportements des phénomènes et des êtres naturels tels les minéraux, les végétaux et les animaux. La causalité par liberté est au fondement des actions humaines. Le dernier mot en revient toujours aux décisions et aux choix  délibérés des acteurs humains en tant qu’auteurs de l’histoire.

La manière de faire la politique dans l’Afrique contemporaine n’est donc pas déterminée par les traditions politiques du passé précolonial africain. Elle ne saurait non plus s’expliquer par l’expérience de la domination coloniale, ni par le fait que la tradition politique conservatrice occidentale, héritée de Machiavel et de Marx, aurait été imposée par acculturation à l’intelligentsia et aux élites dirigeantes africaines. La tonalité générale de la politique africaine contemporaine est déterminée par les choix tactiques et stratégiques librement opérés par les acteurs politiques africains entre les éléments de ces traditions politiques diverses réinterprétées conformément à leurs propres  projets.

 Le présent politique africain, en sa dimension calamiteuse s’explique donc  par les représentations librement formées de la politique, par des choix personnels  librement effectués qui déterminent une certaine praxis. Ces représentations et ces choix calamiteux sont contingents et révocables au moyen de la volonté. La transformation qualitative de la politique africaine dépend de la capacité des acteurs politiques et des peuples africains à opérer des choix différents et à concevoir des modèles émancipateurs. Cette transformation ne saurait résulter mécaniquement  de la dialectique des forces productives et des rapports de production. Elle ne saurait résulter de la transformation quantitative de l’économie comme le prouve, dans  de nombreux pays africains, l’exemple éloquent de la croissance économique qui ne parvient pas pour autant à transformer automatiquement les autocraties en démocratie. La bonne santé de l’économie ne saurait d’elle-même transformer les démocraties procédurales formelles africaines en démocraties substantielles. Elle ne saurait transformer automatiquement les politiques de prédation et d’exclusion  en politique d’inclusion et de reconnaissance de l’altérité.

Cette transformation de la quantité en qualité nécessite l’intervention décisive de l’acteur humain qui choisit, de manière délibérée, des représentations différentes de la politique commandant une autre manière de gouverner. La pérennité des  gouvernances de prédation s’explique par les choix délibérés qui en sont la cause ultime. Une grande partie de l’intelligentsia africaine et un grand nombre  d’acteurs politiques africains, à l’exception notable d’un Nelson Mandela dont l’exemple peine à irriguer l’histoire africaine, ont choisi la causalité matérielle et le déterminisme de l’histoire de préférence à la causalité par liberté qui fonde la responsabilité de la personne dans l’histoire. Ils ont choisi de fonder leur gouvernance dans les traditions et le passé colonial en vue d’occulter leurs responsabilités personnelles, et de légitimer leur pouvoir et leur praxis gouvernementale par des références monarchiques et impériales qui servent leurs intérêts particuliers.

Cette causalité des représentations mentales antidémocratiques est illustrée par des exemples récents. L’ex-président Sénégalais Abdoulaye Wade n’avait-il pas, dans le Sénégal démocratique contemporain, tenté de proroger son mandat au-delà de la durée légale permise par la Constitution, en invoquant implicitement son appartenance à une caste supérieure, et en tentant de délégitimer son successeur relativement à cette référence ? Convoquant les traditions de l’Ouganda précolonial, Yoweri Museweni, qui brigue un nouveau mandat présidentiel après 30 années de pouvoir, se conçoit comme un roi dans l’Ouganda moderne. Il assimile l’Etat ougandais à une vache ou à une bananeraie et il légitime son pouvoir à la tête de l’Etat Ougandais par ces représentation Cf. Yoweri Museveni, roi d’Ouganda. Par Bruno Meyerfeld LE MONDE Le 16.02.2016

Il convient donc d’énumérer les représentations du pouvoir, du gouvernement et du peuple qui conduisent en Afrique aux politiques antidémocratiques. Prendre conscience de la contingence de ces représentations en tant que choix délibérés ne relevant d’aucune nécessité et fatalité historiques peut permettre de les révoquer. Quelles sont donc les représentations du pouvoir, du gouvernement et du peuple qui conduisent aux politiques antidémocratiques en Afrique ? (A suivre)

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