Le procès Gbagbo et le procès Habré. Une concomitance pleine d’enseignements.

La CPI est-elle légitime pour juger pénalement les dirigeants africains. 4ème partie

La concomitance du procès Habré et du procès Gbagbo symbolise une Afrique qui progresse, en luttant contre elle-même, pour surmonter la déchirure interne qui entrave son historicité. Ce double procès complémentaire dessine le nouveau visage de la nouvelle Afrique du XXIème siècle qui est en train de construire son unité politique dans le consensus sur la limitation du pouvoir par les droits de l’homme et la subordination de l’Etat aux besoins de la société. Cette nouvelle Afrique s’émancipe en triomphant d’elle-même par une remise en cause critique de ses forces intérieures d’inertie. Cette introspection critique qui responsabilise et libère, bat en brèche l‘antique habitus d’extraversion et de  déresponsabilisation défendu par les anti-CPI. Ces derniers en sont encore, 60 ans après les Indépendances des Etats africains, à stigmatiser l’ancien colonisateur pour camoufler les responsabilités endogènes quant à la gouvernance calamiteuse et à la violation massive des droits humains sur le continent.

 Le procès de Gbagbo,  qui se tient à la Haye, traduit la volonté de la nouvelle Afrique Noire de s’inscrire résolument dans une culture des droits de l’homme, d’être sur ce plan un acteur de premier plan dans un monde désormais globalisé. Le procès Habré fait écho à cette inscription volontariste du continent dans l’universalisme juridique et dans la modernité politique. Il signifie que l’universalisme juridique des Droits humains est culturellement réapproprié de manière endogène au niveau local comme norme ultime de la politique.

A Dakar, au Sénégal, le Tchadien Hissène Habré est jugé en tant que chef d’Etat ayant failli à son devoir de responsable politique qui avait la charge suprême de garantir la sécurité et le bien-être de ses populations en dépit des conditions historiques qui furent les siennes dans l’Afrique des pré-carré de la guerre froide. Hissène Habré est jugé pénalement en tant qu’homme ayant ordonné des massacres de masse et participé personnellement à ces exactions perpétrées contre d’autres êtres humains. Il répond pénalement de ses actes pour avoir commandé  des actes de tortures dégradants qui ont porté atteinte à la dignité humaine  des Tchadiens et des étrangers qui furent ses victimes. Pour la majeure partie des Africains qui approuvent le jugement pénal des Ivoiriens Laurent Gbagbo et de Blé Goudé à la Haye, ces derniers doivent y être pénalement sanctionnés comme  responsables politiques et comme êtres humains, tout comme Hissène Habré à Dakar, si tant est que ces chefs d’accusation parviennent à être étayés par des preuves irréfutables.

 Des deux procès, on retire donc l’idée d’un consensus continental sur le principe du respect des droits de l’Homme et de sa dignité et sur l’impératif de sanctionner pénalement leur violation. Ce consensus naissant, qui transcende les coutumes et les confessions, vient compléter la lame de fond d’un nouveau consensus politique qui se rapporte à la fonction de l’Etat. En rupture avec la culture colonialiste et autocratique du pouvoir, la nouvelle culture politique africaine pense désormais l’Etat comme une institution subordonnée à la société. Elle conçoit le pouvoir comme devant être limité par les droits de l’homme. Ces deux procès, chacun à leur niveau, expriment un mouvement de rupture irréversible de l’Afrique Nouvelle avec la vieille Afrique, l’Afrique coloniale et l’Afrique des pré-carrés de la guerre froide, l’Afrique des dictatures et des autocraties.

 Le jugement pénal de Laurent Gbagbo et de Blé Goudé à la Haye porte en pleine lumière la bataille interne qui oppose cette nouvelle Afrique à la vieille Afrique. Le conflit entre les pro-CPI et les anti-CPI, entre l’Afrique qui se bat pour la sanction pénale des crimes contre l’humanité, et celle qui lutte pour l’impunité, fait ressortir un affrontement entre des forces endogènes de progrès et des forces endogènes de régressions. Les anti-CPI, dont l’action contestataire est emblématiquement soutenue par certains chefs d’Etat africains sur lesquels pèsent des soupçons de violations des droits humains, sont en effet loin de souscrire à l’esprit du procès Habré. Ce procès milite pour que les chefs d’Etat africains ayant violé les droits de l’homme rendent des comptes devant des tribunaux africains à compétence universelle. A travers le procès Habré le système judiciaire africain se fait le garant de l’Etat de droit en Afrique noire. La souveraineté qu’exprime ce procès est celle d’un continent qui s’estime capable de se révolter de manière autonome contre la barbarie et de juger ses monstres à l’aune des exigences du droit naturel et des droits de l’homme. L’action contestatrice des anti-CPI défend, au contraire, l’ancienne toute-puissance du monarque africain de l'époque des dictatures et des autocraties. Frappée au coin de l’autochtonie et du relativisme juridique, l’action contestatrice des anti-CPI est soutenue par une conception du pouvoir et de la politique, respectivement comme instrument de domination et comme rapport de forces (A suivre)

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