Les causes idéologiques et politiques du rejet de la CPI par certains Africains.

La CPI est-elle légitime pour juger pénalement des dirigeants politiques africains ? 2ème partie

Confrontons les arguments de l’accusation et de la défense pour faire ressortir les présupposés idéologiques et politiques qui sous-tendent l’argumentaire des contempteurs de la CPI. Ce questionnement, qui cherche à évaluer le bien-fondé de cette position étonnante, est d’autant plus important que ce procès semble répondre aux aspirations d’une opinion publique africaine en attente d’une révolution de la culture du pouvoir en Afrique.

Dans leur grande majorité, les Africains attendent désormais des Etats, le respect de leurs droits personnels et collectifs fondamentaux. Ils demandent que soit abolie la culture de l’arbitraire du pouvoir qui règne trop souvent en Afrique. Ils veulent que le pouvoir africain  soit désormais limité, borné et contrôlé par les peuples.  Ils pensent que les dirigeants politiques, qui violent ces attentes fondamentales et qui commettent des exactions et des massacres en vue de conserver le pouvoir, doivent désormais répondre pénalement de leurs méfaits devant les tribunaux, fussent-ils internationaux et délocalisés.

Selon l’accusation de la CPI, Laurent Gbagbo a voulu conserver le pouvoir en Côte d’Ivoire  par tous les moyens après avoir perdu l’élection présidentielle en décembre 2010. Comme Nkurunziza qui s’est engagé sur le même chemin au Burundi, et comme les faucons du gouvernement Habyarimana avant lui au Rwanda (c’est nous qui soulignons), il a usé pour cela de la force brutale extrême qui a conduit à des atrocités, à des actes de barbarie et à des massacres de grande ampleur en Côte d’Ivoire. Ces massacres et ces tueries lui valent donc d’être accusés de crime contre l’humanité.

Pour l’Accusation et pour les opinions publiques qui partagent ce point de vue, le procès intenté contre Laurent Gbagbo et son Ministre Blé Goudé est donc de nature strictement judiciaire et non pas politique. Pour cette opinion publique, l’Afrique Noire pourrait toutefois retirer de ce procès judiciaire un bénéfice politique qui consiste en ce que la menace du glaive de la justice internationale et des tribunaux à compétence universelle dissuade à l’avenir plus d’un autocrate africain de tenter de conserver le pouvoir par la force et par le massacre des populations. Ce n’est que de ce point de vue rationnel que l’on pourrait parler d’une dimension politique incidente du procès de Laurent Gbagbo et de Blé Goudé à la CPI. 

Pour la défense c’est,  au contraire, selon Maître Emmanuel Altit avocat de Laurent Gbagbo, « Alassane Ouattara et ses soutiens » qui «  voulaient se saisir du pouvoir par la force et la bataille d’Abidjan est la mise en œuvre de cette stratégie». Laurent Gbagbo aurait été destitué par la France appuyée par les forces armées des multinationales du capitalisme mondial dont la CPI serait le bras armé judiciaire. Il l’aurait été au profit de son adversaire Alassane Ouattara qui serait en Afrique Noire le pion de ces forces économiques et politiques dominantes dans le monde. Ce procès serait donc la phase judiciaire d'un complot international ourdi contre un chef d’État africain démocratiquement élu qui refuserait de se soumettre à l’ancienne puissance coloniale et  à l’ordre capitaliste établi.

 Le procès contre Gbagbo est donc un procès politique au sens précis où le judiciaire ne serait qu’une superstructure des rapports de forces économiques. La dimension politique est donc substantielle dans ce procès qui ne serait rien de plus qu’un règlement de compte politique destiné à abattre judiciairement un farouche nationaliste africain en lutte contre la mainmise de la France et contre l’impérialisme des multinationales. Les CPI et TPI seraient les garants judiciaires mondiaux d’un ordre établi au profit du capitalisme mondial. Cette plaidoirie de la défense, qui n’est pas judiciaire mais idéologique, brouille donc sciemment les repères en transportant arbitrairement le procès pénal judiciaire sur le plan du politique compris comme superstructure du capitalisme industriel et financier.

 Cette défense idéologique axée sur une stratégie de victimisation de l’accusé occulte donc les faits historiques ou à tout le moins les manipule et les déforme pour servir un dessein politique. Le présupposé idéologique du complotisme qui l’anime conduit à triturer  le réel pour l’introduire de force dans la camisole d’un schéma explicatif préétabli. L’herméneutique marxiste qui sous-tend cet argumentaire permet de négliger les faits bruts pour privilégier les sources cachées censées les expliquer. Ces sources imaginées prennent alors la place de la réalité. Ce tour de passe-passe permet de substituer au réel une fabrication idéologique.  Cette herméneutique a permis de transmuter la victoire électorale d’Alassane Ouattara en 2010 en défaite et la défaite électorale de Laurent Gbagbo en victoire. Elle a permis de rayer de l’histoire le choix souverain de l’électorat ivoirien, de nier les responsabilités et les actes concrets des protagonistes ivoiriens  de la crise post-électorale, de considérer que c’est la France et l’ONU et leurs forces armées respectives qui ont agi en Côte d’Ivoire, qui ont perpétré les massacres et décidé de la victoire et de la défaite électorale en ce pays.

Cet  argumentaire est donc un argumentaire politique  fabriqué  pour accréditer la vision du monde d’un courant idéologique et pour défendre les intérêts des catégories politiques qui prétendent l’incarner dans l’Histoire réelle. C’est un argumentaire  de  défense de classe. C’est l’argumentaire de défense des bénéficiaires d’un modèle politique et d’un type de pouvoir. Maître Emmanuel Altit est l’avocat de Laurent Gbagbo, c’est à dire du représentant emblématique d’une certaine classe dominante contemporaine africaine qui entend conserver la plénitude son pouvoir à l’intérieur de ce qu’elle considère comme son dominium. C’est l’avocat d’un groupe d’intérêt politique qui entend conserver  ses prérogatives et ses avantages contre les transformations structurelles du pouvoir qu’appelle, en Afrique, l’avènement de la démocratie électorale. L’adoption par l’UA, à huis-clos, du projet de retrait des pays Africains de la CPI, sous proposition du Président Kenyan,  lors de ce 26ème sommet de l’organisation, l’atteste éloquemment. La délégitimation de la CPI est donc une offensive politique  lancée contre la démocratie électorale et contre le principe de la souveraineté du peuple  par les catégories politiques qui s’en sont accaparées  et par les réseaux clientélistes et les intellectuels organiques qui les soutiennent. C’est une offensive des tenants africains du principe monarchique et autocratique du pouvoir illimité et de l’arbitraire du pouvoir. C’est une offensive lancée contre le principe démocratique de la limitation du pouvoir par les droits fondamentaux des personnes et des collectivités en Afrique. (A suivre)

 

 

 

 

 

<>

Les commentaires sont fermés