La CPI est-elle légitime pour juger pénalement les dirigeants politiques africains ? 1ère partie

La légitimité de la CPI est de nature cosmopolitique.

Pour un certain nombre de dirigeants politiques africains et pour une grande partie des élites africaines, la CPI est a priori illégitime. Soutenus en cette accusation par des courants idéologiques occidentaux et orientaux, ils soutiennent que  cette Cour internationale de justice est à la solde des anciens Etats coloniaux et plus généralement à la solde des puissances occidentales. L’actuel procès de l’ex-chef d’Etat ivoirien Laurent Gbagbo et de son ministre  Blé Goudé voit fleurir des  titres évocateurs dans certains journaux tels « L’Afrique se mobilise contre la « justice » néocoloniale de La Haye » qui traduisent, sans équivoque, le sentiment d’une frange des opinions africaines.

La CPI serait un instrument politique de tutelle et de domination néocoloniale. Elle permettrait aux puissances occidentales, et notamment aux anciens Etats coloniaux, d’imposer aux Africains leur conception de la justice et du droit. Sous le couvert d'une institution prétendant être de compétence universelle serait mise en place une tutelle politico-judiciaire permettant d’éliminer les dirigeants africains qui dérangent l’ordre néocolonial établi. Les contempteurs de la CPI excipent, en guise de preuves, le fait que la CPI, institution d’inspiration occidentale qui siège symboliquement dans un pays occidental, a jusqu’ici exclusivement jugé et condamné des leaders politiques et des chefs de guerre africains.

La CPI semble en effet porter effectivement atteinte à la souveraineté des Etats africains dont les dirigeants sont sommés de répondre judiciairement de leurs délits devant une Cour de justice située hors du continent, en terre étrangère, et de surcroît dans le monde occidental.

 Une telle accusation met en question la raison d’être de la CPI. Elle soulève la question de la légitimité de cette institution. La Cour Internationale de Justice (CIJ) de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), n’est-elle pas plus qualifiée pour juger les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et d’agressions  perpétrés sur le continent et impliquant des dirigeants africains?

Cette accusation, apparemment justifiée, met en question le bien-fondé d’une Institution Internationale de Justice qui vient compléter la panoplie des institutions internationale économiques, politiques et sociales à compétence mondiale. L’argument de l’incapacité structurelle de la plupart des Etats africains à organiser, avec toutes les exigences de sécurité requises, l’administration de ce type de justice ne suffit donc pas à dissiper le malaise. La BAD, Banque Mondiale de Développement, n’a-t-elle pas de siège dans certains pays africains en développement dénués de moyens ? Il semble donc bel et bien que la délocalisation de la CPI hors du continent africain obéisse à des intentions obscures.

Or, il n’en est rien. En réalité, cette contestation de la légitimité de la CPI est formulée à partir d’une optique politique qui biaise la problématique de la jurisprudence internationale. Cette optique, qui appréhende les collectivités humaines comme une somme d’entités atomisées et séparées, n’aperçoit pas leur unité originelle. Elle est, par ailleurs, animée par des présupposées idéologiques qui la portent à représenter le judiciaire comme une superstructure chargée de légitimer un rapport de force économique et une domination politique

 Certes, la Cour Internationale de la Justice (CIJ) de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui dépend de l’UA est  compétente pour juger les affaires qui touchent aux intérêts communautaires  des peuples de cette région de l’Afrique. Mais, est-elle pour autant compétente pour juger  les crimes les plus graves commis sur le continent, qui touchent aux intérêts de la communauté humaine en sa totalité, et dont des dirigeants ou des chefs militaires africains sont soupçonnés d’être les auteurs ? En ce cas d’espèce, n’est-ce pas à une institution judiciaire à compétence mondiale de l’Organisation des Nations Unies (ONU) qu’il faut s’adresser ? Le jugement pénal  des crimes gravissimes qui portent atteinte à l’intégrité de l’humanité ne doit-il pas être transféré devant l’institution judiciaire internationale d’une Organisation internationale mondiale qui administre les intérêts de la communauté humaine en sa totalité? N’est pas à l’ONU,  qui regroupe sous sa coupe  l’ensemble des organisations internationales continentales, que revient la responsabilité du jugement de délits qui engagent le monde entier et qui transcendent les intérêts locaux des Etats et des continents ? Quelle que soit la nationalité des auteurs,  le  jugement des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre, ne doit-il pas être déféré à un Tribunal Pénal International (TPI) ou à une Cour Pénale Internationale (CPI) ?  

En ce questionnement, on appréhende la légitimité de la CPI selon un point de vue qui passe progressivement de la jurisprudence des Etats à celle des Continents et à celle du Monde. On situe ici l’affaire au niveau de la strate suprême des organisations internationales qui permettent d’unir les différentes communautés humaines dans une communauté supérieure unique. La CPI est une institution judiciaire  habilitée à traiter les affaires pénales de la communauté mondiale des hommes rassemblés dans l’unité du genre humain, similaires donc  au-delà de la diversité de leurs races, de leurs coutumes et de leurs jurisprudences particulières.

Le jugement pénal à la CPI des dirigeants africains et des chefs de guerre africains accusés de crimes de génocide et de crimes contre l’humanité est fondé de ce point de vue transcendant et cosmopolitique. La légitimité de la CPI est une légitimité de type cosmopolitique. Est-il alors besoin de souligner que l’on devrait, d’un point de vue rationnel, appréhender l'avènement de ces nouvelles institutions judiciaires à compétence transcontinentale et mondiale comme un progrès de l’humanité plutôt qu’une régression?

La légitimité de nature cosmopolitique des TPI et des CPI n’est donc réfutable qu’à partir d’un présupposé idéologique et dans une perspective de stratégie politique relative à la conservation d'un ordre local établi, à l’accaparement factionnel ou personnel du pouvoir en Afrique. Quel est donc ce présupposé idéologique qui sert les intérêts locaux d’acteurs africains ? (A suivre)

 

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