Comment l’opposition ivoirienne devrait-elle jouer son rôle de contre-pouvoir face au gouvernement ?

Le mot du Premier Ministre Kablan Duncan et la question de la responsabilité du personnel politique ivoirien. 2ème partie

La mise au point du premier Ministre ivoirien, Daniel Kablan Duncan, amène nécessairement à interroger, du point de vue de leur qualité idéologique respective, la gouvernance du parti au pouvoir et l’activité de contre-pouvoir des partis d’opposition. Le gouvernement libéral ivoirien gouverne-t-il comme il se doit en démocratie électorale représentative? L’opposition dite socialiste ivoirienne s’oppose-t-elle au gouvernement comme  il se doit dans ce type de régime ?

En démocratie électorale représentative, un gouvernement d’obédience libérale doit gouverner selon les principes du libéralisme. Une opposition d’obédience socialiste doit s’opposer au gouvernement avec les principes du socialisme. Cette règle d’or explique, en France, le désaveu du gouvernement socialiste français actuel auquel son électorat reproche de gérer le pouvoir avec les principes du libéralisme.  En posant la question de la qualité  du mode sous lequel le gouvernement et l’opposition politique s’exercent en Côte d’Ivoire, nous évaluons ces deux représentants  du pouvoir démocratique selon leurs capacités respectives à répondre aux réquisits des obédiences dont elles prétendent se réclamer.

En tant que gouvernement d’obédience libérale, le gouvernement ivoirien gouverne actuellement la Côte d’Ivoire selon les principes idéologiques du libéralisme,  à savoir la liberté et notamment la liberté d’entreprise. La priorité donnée à l’investissement et le choix de la redistribution de type économique, l’option de la libre entreprise et de l’auto-emploi, comme médiations idoines susceptibles d’apporter une solution efficace au problème du chômage et du développement en Côte d’ivoire, sont les indices d’une politique résolument libérale.

L’opposition légale ivoirienne, tendance Affi, en tant qu’opposition d’obédience dite socialiste, devrait s’opposer au gouvernement libéral ivoirien selon les réquisits du principe d’égalité. La mise en question des choix du gouvernement  devrait  s’appuyer sur la défense de l’idéal d’égalité. Le projet de société socialiste devrait se construire sur le souci de promouvoir de manière indiscriminée les catégories sociales les plus faibles de la société ivoirienne. Le contre-projet socialiste ivoirien devrait être bâti sur cet idéal politique et présenté au peuple comme projet alternatif au projet libéral gouvernemental  fondé sur la promotion indiscriminée des talents individuels.

Le libéralisme représente l’option de la liberté et le socialisme  celle de l’égalité. L’affrontement politique en démocratie libérale est l’affrontement démocratique entre l’idéal de liberté et l’idéal d’égalité. Le combat politique démocratique entre le gouvernement et l’opposition en Côte d’ivoire devrait donc  se réaliser comme une concurrence entre des projets de société fondés sur ces deux idéaux contradictoires mais complémentaires.

Il semble, de ce point de vue strictement républicain et démocratique, qu’une opposition politique soi-disant socialiste qui structurerait son projet de société sur le principe d’inégalité et de non-reconnaissance de l’altérité serait en contradiction avec elle-même. Mobilisant la thématique de l’inégalité, tout en se réclamant de l’universalisme socialiste, il  serait condamné à tenir un discours confus au message indéchiffrable.

L’incapacité de l’opposition ivoirienne à jouer son rôle politique, à porter la contradiction au gouvernement,  à tenter de reconquérir le pouvoir par la voie des urnes grâce à un programme politique clair et audible,  ne résiderait-elle pas dans ces contradictions ? Son impuissance à élaborer un projet politique clair, qui puisse rassembler tous les Ivoiriens dans l’égalité au-delà de leurs ethnies de leurs confessions et régions, ne proviendrait-elle pas  de ses confusions internes?

La réalité du terrain enseigne que le gouvernement ivoirien d’obédience libéral gouverne selon les principes du libéralisme, tandis que l’opposition d’obédience socialiste ne parvient pas à s’opposer à ce gouvernement selon les principes du socialisme. D’un point de vue strictement démocratique, la réélection du gouvernement libéral ivoirien peut donc  être interprétée comme le signe d’une approbation populaire de sa gouvernance globale. Il a agi en libéral et a pu tenir un discours rassembleur clair de type républicain qui a séduit au-delà de son électorat naturel. De ce même point de vue, le verdict de l’élection présidentielle peut être interprété comme une sanction infligée à une opposition incapable de jouer sa participation démocratique de manière à réussir à rassembler sur sa liste  la majorité du vote des Ivoiriens.

Ce désaveu populaire interpelle l’opposition ivoirienne sur l’exigence de redéfinir  sa critique politique  et son projet de société sur le réquisit démocratique d’égalité, en tant que  contre-point au modèle libéral du gouvernement fondé sur la liberté d'entreprise. Le peuple ivoirien attend donc impatiemment de l'opposition ivoirienne qu’elle opère le changement de son paradigme politique. Cet aggiornamento incontournable lui permettrait de jouer activement sa partition dans la problématique de la réconciliation qui ne se réduit pas à  une dimension exclusivement judiciaire.

Au-delà de la dimension purement judiciaire de la sanction pénale équitable de tous les  coupables de la crise post-électorale ivoirienne, le problème de la réconciliation de la société démocratique ivoirienne se pose aussi dans les termes d’un consensus à recréer entre les membres de la cité sur le principe d’égalité, donc sur le principe de la citoyenneté. La réconciliation passe par un consensus national  sur les valeurs de la République et de la Démocratie qui soutiennent le vivre-ensemble. Elle  présuppose donc nécessairement que les tenants du nationalisme ethnique et communautaire abandonnent cette vision du monde qui prône le rejet de l’Autre. La réconciliation est impossible lorsque l’adversaire politique n’est pas reconnu comme un autre soi-même, lorsque le concitoyen est considéré comme un envahisseur étranger et, à tout le moins, comme un sous-homme. Il n’y a pas de réconciliation possible sans une appropriation personnelle et réciproque du principe démocratique et républicain de similarité.

Cette dimension politique de la réconciliation, comme consensus des composantes de la cité dans les valeurs morales et politiques de la République et de la démocratie, soulève la question des raisons subjectives profondes de la défaillance de l’opposition ivoirienne. Sous cette perspective idéologique, l’argument récurrent, selon lequel l’opposition ivoirienne serait quotidiennement en butte à la répression exercée par une dictature liberticide sur ces cadres dirigeants, apparaît comme  un prétexte.

Cet éclairage essentiel soulève la problématique des représentations antipolitiques  qui rendent impossibles une opposition de type démocratique dans un pays démocratique. Quelles sont donc les représentations du pouvoir et de la lutte politique qui sont antinomiques à une opposition démocratique ?  (A suivre) 

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