On ne le rappellera jamais assez : le projet politique houphouëtiste, stricto-sensu, fut de bâtir en Côte d’Ivoire une Nation de citoyens en intégrant une société ethniquement et confessionnellement diversifiée. Le projet économique houphouëtiste fut, quant à lui, de libérer par ce biais la Côte d’Ivoire de la dépendance au moyen de la modernisation et du développement. Il s’est donc agi, pour atteindre ce but, de marier l’ethnicité et la rationalité en impliquant toutes les élites régionales, anciennes et nouvelles dans le développement économique des différentes parties du territoire nationale. Ce projet d’intégration nationale fut porté par un nationalisme libéral modernisateur qui était aux antipodes d’un nationalisme communautaire antimoderniste. Projet politique d’un Etat mobilisateur animé par le souci de la modernisation, cette ambition s’est donc concrètement déclinée dans un patriotisme républicain.
Dans les années 1997 à 2010, un nationalisme communautaire milicien avait pourtant, dans une colossale imposture, réussi à revêtir le manteau du patriotisme au point de séduire au sein du PDCI des membres qui partageaient une représentation identitaire de la nation. La dérive nationaliste étonnante du PDCI, caractérisée par l’ivoirité, et notamment la dissidence partisane ouverte qui s’affirma lors de l’élection présidentielle de 2015, ont donc eu la vertu de révéler, au grand jour, la ligne de fracture idéologique qui travaillait en profondeur l’unité interne du parti.
Au sein du PDCI coexistaient donc un nationalisme libéral et un nationalisme communautaire, une face de lumière tournée vers la modernisation et une face d’ombre tournée vers la défense d’un être culturel et d’une communauté historique. Le courant républicain au PDCI était animé par le nationalisme modernisateur hérité de Félix Houphouët-Boigny. Son rapport aux traditions et aux coutumes était inspiré par un souci d’enraciner la modernisation dans les forces culturelles du terroir. Le courant ethniciste du PDCI était au contraire inspiré par un nationalisme communautaire. Sa référence aux traditions et aux coutumes était animée par le souci de reconfigurer la société politique ivoirienne selon les coutumes et les traditions contre les valeurs et principes de la modernité. Au-delà des affrontements personnels et des ambitions conflictuelles de pouvoir, la scission interne du PDCI fut donc une scission idéologique et axiologique.
Cette différence idéologique et cette opposition politique qualitative furent la source nourricière de la dissidence qui s’affirma au grand jour lors de la présidentielle de 2015. Elle provint de la volonté du courant communautariste du PDCI de briser la coalition républicaine RHDP au profit d’un nouvel axe politique portant le programme du nationalisme communautaire. Cette nouvelle coalition communautariste inaboutie avec l’aile dure du FPI s’est reconfigurée dans la CNC au moment de la Présidentielle.
L’élection présidentielle de 2015 a donc révélé une fracture idéologique profonde au sein du PDCI. La dissidence s’est affirmée à partir du rejet idéologique du républicanisme et des valeurs substantielles de la démocratie fondée sur la reconnaissance de l’Autre. Les candidats dissidents incarnaient l’aile communautariste du PDCI. Cette aventure politique ne fut donc guère provoquée par une incompréhension née de la décision de Henri Konan Bédié de soutenir le candidat d’un parti allié au préjudice des candidats à l’élection présidentielle issue des rangs du PDCI-RDA. Les candidats potentiels, qui au PDCI mirent en sourdine leurs ambitions personnelles pour soutenir la candidature du poulain du RHDP à la présidentielle d’Octobre 2015, incarnaient le courant républicain et démocratique. Ceux qui rompirent le pacte républicain en prétendant agir dans le respect des principes du pluralisme démocratique furent au contraire loin d’être des républicains et des démocrates.
La problématique de l’unification au PDCI-RDA doit donc être articulée par le questionnement sur les valeurs et principes de la République et de la Démocratie. Ces valeurs et principes doivent cimenter la nouvelle unification du parti. Cette reconfiguration idéologique et axiologique est l’unique voie de salut qui pourrait arracher le PDCI aux ornières mortelles du communautarisme et du clanisme. Son unification doit être envisagée à l’aune de l’exigence républicaine et démocratique. Il s’agit, dans cette perspective, de reconstruire à nouveau l’unité républicaine du parti sur l’alliance de l’ethnicité et de la rationalité, des cultures et de la modernisation. Cette unification doit donc aussi être envisagée à l’aune de l’exigence démocratique. L’unité du PDCI-RDA ne peut être envisagée autrement que comme celle de courants idéologiques contradictoires qui convergent vers la sauvegarde de la République et de la citoyenneté au sein même de leurs divergences.
On serait alors à mille lieux d’un parti réunifié selon le modèle de l’ethnicité, du régionalisme et du confessionnalisme où l’on raisonne en termes de défense du terroir et des racines, de protection d’une identité culturelle contre une modernité étrangère et hostile. On se défierait du modèle ethniciste et confessionnaliste de l’alternance du pouvoir où l’on raisonne en termes de retour au pouvoir d’un Akan, d’un sudiste et d’un chrétien après l’exercice du pouvoir par un Mandé, un nordiste et un musulman. La rupture avec la politique exotique, source des régressions, des divisions et de la confusion pourrait alors être consommée au moyen d’un ré-enracinement moral et spirituel partisan qui élève la défense de la citoyenneté et de l’égalité, de la liberté et de la fraternité, de l’intérêt général et du bien commun en qualité de but final du PDCI.
Cette reconstruction problématique appelle un débat idéologique nécessaire qui réaffirme l’engagement républicain et universaliste du parti. Recomposer l’unité du PDCI-RDA dans la perspective des échéances électorales de 2020 et bien au-delà, signifie donc réunir dans le PDCI le courant républicain et le courant ethniciste selon l’architecture subtile qui en fit à l’origine un parti moderniste ouvert sur l’universel.
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