Le but final de l’élection présidentielle en démocratie. L’exemple de la Côte d’Ivoire.

Quelle est la fonction de l’élection et spécifiquement de l’élection présidentielle en démocratie électorale-représentative. Quel en est le but final ?  L’élection démocratique est-elle un choix pragmatique de programmes indifféremment de la personne qui les porte?  Est-elle, au contraire, au-delà de ce choix, un concours de sélection populaire d’un individu-général  capable d’incarner en sa personne l’intérêt général et de servir le Bien Public ?

En Afrique, en Côte d’ivoire en particulier, l’importance de ce moment capital de la vie politique qui restitue le pouvoir au peuple dans une démocratie électorale-représentative, n’a pas échappée  aux populations qui en ont pris pleinement la mesure comme en témoigne le taux de participation de 54,63% malgré l’appel au boycott lancé par la coalition CNC dirigée par la frange extrémiste du FPI .

L’Etat colonial avait désapproprié les peuples africains de leur droit de choisir leurs dirigeants. Les dictatures et les autocraties qui s’installèrent en Afrique après l’Indépendances des Etats,  prorogèrent cette désappropriation. Les parodies électorales  servirent à dissimuler la domination des peuples par des oligarchies locales et endogènes. Dans les nouvelles démocraties électorales-représentatives, le moment électoral permet aux peuples de se réapproprier ce droit vital des dirigés à choisir librement leurs dirigeants dans une communauté politique. Il importe alors de déterminer la fonction spécifique de ce moment capital de la temporalité démocratique  pour en mobiliser de manière optimale les vertus.

En quel sens l’élection démocratique est-elle donc un moment où la société se réapproprie sa liberté et reconstruit son histoire selon le réquisit d’égalité pour s’affranchir des tutelles,  des dominations et des exclusions? Fonctionnellement, l’élection démocratique est l’accoucheuse d’une société d’égaux. C’est la force opérative  d’un réquisit d’égalité qui permet d’instituer une société  égalitaire  en lieu et place des sociétés inégalitaires structurées par le modèle politique des ordres, des lignages et des clans. L’acte électoral démocratique abolit l’attribution du pouvoir par dévolution monarchique, par héritage ou par droit divin. Au lieu d’être une fonction réservée à des démiurges choisis par des puissances surnaturelles ou à des héritiers désignés par les coutumes et plébiscités par acclamation, la direction de la cité est ouverte sans discrimination  à tous ses membres. Ses dirigeants sont désormais choisis par un peuple constitué d’égaux. Par l’élection, la source du pouvoir est située dans le peuple qui sélectionne ses dirigeants sur la base exclusive de leur qualité personnelle, de leur compétence morale et politique à partir d’un réquisit d’égalité. L’élection fonde ainsi  une temporalité qui permet à la République et la Démocratie de se construire et de se reproduire. On comprend alors qu’en Côte d’Ivoire, les catégories sociales qui tiennent encore aux modèles politiques inégalitaires, lignagers, communautaires et révolutionaristes soient amenées à récuser le modèle démocratique de l’élection. Le moment électoral désapproprie, en effet, le pouvoir et ceux qui prétendent à en détenir le monopole. Il le dissémine dans la société et, sur la base de  nouveaux  critères  de  représentativité et de légitimité, le redistribue aux candidats à la direction de l’Etat.

Au delà de la concurrence des partis et des programmes qui fondent  la compétition électorale, l’élection en démocratie électorale-représentative est une épreuve de sélection d’égaux doués de capacités personnelles spécifiques. C’est un acte d’extraction des citoyens qui incarnent  l’essence morale de la société  et qui peuvent à ce titre prétendre à la direction de la Cité. Sur le fond du réquisit d’égalité,  la fonction de l’élection démocratique est de sélectionner les meilleurs et les plus capables des citoyens. Elle opère un choix fondé sur une appréciation populaire  des capacités cognitives et morales des candidats  qui prétendent à la direction de la cité. Au-delà de l’addition  quantitative des voix, le choix électoral est donc un choix qualitatif. Sur le mode de la sélection, les urnes démocratiques permettent d’extraire de la société pour leur confier  la direction de la cité, les individus les plus doués, les individus-généraux capables de représenter l’intérêt général et de servir le bien commun. Comme le souligne Madison, cité par Pierre Rosanvallon, l’acte électoral démocratique vise à « mettre aux postes de commande les hommes qui ont le plus de sagesse pour distinguer le bien commun de la société et le plus de vertu pour le poursuivre ».

 En Afrique, cette destination originelle de la démocratie et de l’élection qui en constitue l’instrument opérationnel, n’est pas devenue caduque malgré les transformations historiques de ce régime. Après les autocraties et les dictatures, le modèle de l’élection démocratique comme accoucheuse d’une société libre et égalitaire, dirigée néanmoins par les plus compétents et les plus moraux des citoyens, demeure une demande sociale forte. La perte de crédibilité des classes politiques dans le monde et les évolutions internes de la démocratie électorale-représentative qui tendent désormais à réduire l’affrontement démocratique à un affrontement de personnes et l’élection démocratique à une sélection pragmatique de programmes et à un choix indifférent de personnes, n’entament nullement la destination ultime originelle de l’élection démocratique.

Le modèle du chef d’Etat et des dirigeants de la cité en démocratie électorale-représentative est encore celui de l’individu-général qui est capable d’incarner la généralité en sa personne et de servir le bien public grâce à cette capacité. En Côte d’Ivoire la victoire quasi plébiscitaire du candidat du RHDP doit être appréciée à l’aune de ce modèle démocratique et de ce critère irréductible qui demeurent la norme du vote des peuples dans les démocraties électorales-représentatives du monde entier.

 

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